27 Avril 2008
Trois jours

Trois jours vite passés. Beaucoup de ménage au cocon pour ranger le linge d'hiver et sortir le linge d'été. Sans compter que mon bureau est tout propre. Avant de partir à la campagne, j'ai préparé aussi les rendez-vous de mon nouveau dossier pour le retour aujourd'hui.

Vendredi, dans le soir qui descend, je suis partie seule en voiture. Les deux garçons et un neveu sont déjà partis avec lui dans l'autre voiture qui traine la remorque. Je tenais à être seule pour finir ce que j'ai à faire. Aussi pour commencer le projet de partir et revenir, entre la ville et la campagne, librement, ménageant du temps pour moi. Déjà je pense que le projet sera mitigé à cause de la hausse du coût de l'essence. En route, j'entendais à la radio le fait divers racontant le vol de mille littres de diesel siphonnés directement du réservoir souterrain d'une station d'essence, au cours de la nuit précédente. Justement, j'avais pensé que les voitures garées dans la rue, comme les nôtres, peuvent se faire siphonner ainsi. Il me revenait en tête la vision d'avant, chez moi, où l'on vendait de l'essence à la bouteille sur le bord des routes.

Deux jours à la campagne donc, sans repos. En une seule journée, hier, les «hommes» aux mains blanches ont dénudé la maison sur trois côtés, perchés sur de grandes échelles louées. D'abord précautionneusement, par sécurité, ensuite, plus rapidement. Les jeunes hommes étaient en espadrilles, légèrement vêtus, trompés par le soleil d'avril. Heureusement, sur place, lui avait tous les chandails nécessaires. Moi je faisais la cuisinière du chantier pour des appétits solides, en m'abstenant de leur dire quoi faire, évidemment. Cinq repas plus tard, la même vaisselle et les mêmes casseroles relavées cinq fois moi-même, puisque les hommes en étaient dispensés pour l'occasion, nous sommes contents. La maison est proprement nue!

La nuit dernière, lui soignait les épaules endolories par un bain chaud, ensuite en prenant le lit tôt, moi je n'arrivais pas à dormir avec les jambes qui me faisaient si mal. Les jeunes hommes, eux, regardaient le match de hockey, mangeaient tous les sacs de croustilles, passaient d'un film à un autre, jouaient aux cartes, riaient jusqu'à très tard. C'est ça le gap des générations, la différence des années dans les muscles et les os!

Les vrais ouvriers arriveront dans la maison dans une semaine, comme les talus de neige sont encore là, autour de la maison, rendant difficile l'échafaudage. Mais les surfaces planes sont dégagées. La statue de bouddha dans la cour est complètement dégagée, immuable. La terrasse en arrière s'est légèrement penchée, avec le poids de la montagne de neige qui débordait sur une extrémité. La table de pique-nique que nous avons oublié d'appuyer sur le côté, le long de la terrasse, émerge à moitié de ce qui reste de la montagne de neige. Je crois qu'elle est défoncée.

En pelletant la neige qui persiste encore sur la terrasse, malgré le gros soleil, je faisais le parallèle entre les choses autour de cette maison et moi-même. Je crois que pour la première fois je ressens la difficulté de passer au travers de l'hiver. On en sort toujours, certes, mais amoché, comme les branches cassées du sapin, ou du pin blanc, ou des cèdres. Ou le sable et le petit gravier, après avoir servi à déglacer la rue, ramassé par la déneigeuse, entassé avec la neige au fond de la cour, qui va abimer ensuite le gazon déjà bien usé. Rien à voir avec une pelouse de banlieue bien manicurée.

Dans la maison, je crois que je me suis décidée. Les livres sont rassemblés de partout, par ordre alphabétique. La bibliothèque de la salle de séjour n'est pas encore défaite, mais je vais tout reclasser par ordre alphabétique de noms d'auteur. Sans égard pour les thèmes. Cela me coûte un peu d'éparpiller la collection de journaux, ou les collections par reliures, ou par éditeurs. Mais démocratisons le tout, point. Déjà je trouve intéressant de mélanger les genres, les langues. De trouver Revel, Jean François, à côté de Richler, Mordecai. Ou Duras, Marguerite, à côté de Dumas, Alexandre, père et fils.

Entre mes maisons, entre mes occupations et mes projets, je ne crois pas que j'en verrai la fin. En même temps, rien est définitif. En cours de route, tout peut changer.

Pour revenir à aujourd'hui, oui, aujourd'hui, je suis encore revenue seule, au volant de ma voiture, m'arrêtant que pour faire le plein d'essence. Lui est revenu plus tard, avec un neveu. Les deux garçons sont restés en arrière, avec un de leur cousin, venu nous rejoindre hier soir. En ville, j'ai vite rangé mes sacs, pris une douche, changé de peau et je suis partie travailler. Devant le cocon, la paysagiste a commencé à préparer le parterre, semer le gazon. Dans l'antre, tout est à sa place.

Ce soir, j'éprouve le double vertige de celui qui doit s'arrêter un peu, pour cause de repos, ou tout simplement pour passer à une autre étape, mais aussi la griserie de ce qui va bien, vers l'inconnu, malgré tous les plans, prévisions et suppositions.

Il est terriblement tard, ou affreusement tôt dans le nouveau jour, demain j'ai une journée de réunion ...

hier consulter les archives demain

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