30 juillet 2002
Dire et discourir

Au coiffeur je suis allée, pour dépenser l'équivalent du salaire mensuel d'une petite famille vietnamienne, en teinture et coupe de cheveux. Appelons les choses par leur nom! La coloriste qui se dit styliste avait passé cinq jours à Saigon, il y a deux ans. L'entendre discourir sur le Viet-Nam fut une expérience choquante. Non pas que ce qu'elle dit soit faux, mais pas nécessairement vrai non plus, comme Saigon ne peux représenter tout le Viêt-Nam.

Ce fut une mise en garde pour moi! Plus je m'apprête à raconter mon voyage, plus je me sens limitée par les quelques facettes de mon vécu récent. Je suis consciente de n'avoir expérimenté que quelques arbres dans une forêt, alors que la viêtnamienne fut vaste et à perte de vue. Que je décrive tant que je veux les quelques arbres rencontrés, la forêt est toujours là et reste à voir. Rien qu'à refeuilleter le guide Gallimard, je constate tout ce que je n'ai pas vu!

Souper chez mon frère où nous avons beaucoup raconté. Là aussi, dire ce que l'on veut dire fut un exercice frustrant. Raconter simplement n'est pas si simple, et puis, comment raconter avec justice, une mer de contrastes! Comment vous dire maintenant ce que je ressens! J'ai comme tout ce boulet dans la poitrine et je ne trouve pas de mots, ou de façon simple pour me libérer. Je peine à chercher l'expression juste. Comme si je subis la tyrannie du dire, et dire juste, alors que cela semble si facile de discourir sur trente jours de sons et saveurs, gens et bêtes, régions et nation, villes et campagnes, passé et présent, vestiges et modernité, etc. J'ai le sentiment de ne pas pouvoir finir de raconter de sitôt! Et si j'y retourne plus vite que prévu! (oui, une pensée furtive m'a traversée l'esprit ce matin). Je suis à peine consciente que ma vie s'équilibrera dorénavant autrement. Comment? Je ne sais pas encore.

Me précipiter au coiffeur pour être prête à rencontrer des clients. Mais en même temps, je n'arrête pas "d'oublier" le téléphone à la maison, faute de prendre les devants en les appelant. Bref, j'ai l'excuse de devoir m'occuper de remplir les frigos pour nourrir les fils en vacances et leurs copains en visite. Là aussi, je suis confrontée à devoir acheter comme avant, et vouloir acheter différemment. Voilà, c'est dit: dans les annales de Sally, il y a l'avant et l'après ce voyage. En plus de raconter le voyage à proprement dit ... Et si je me tais, le retour sera-t-il plus facile? Comme avec le coiffeur. Il n'a pas fait de façon, s'enquérant à peine de mon voyage, et je n'ai rien raconté, c'était facile!

Dire et discourir, pour me libérer, et aussi pour assumer ce boulet. Le contraire serait comme si je prétend que ce voyage n'a pas eu lieu. Ce qui est vain. Comme le boulet ne se recrache pas de sitôt, digérons-le, à la place, doucement, si possible!

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