Elle me tenait par le petit doigt quand je l’amenais à l’université il y a bien longtemps. Elle avait neuf ans quand nous étions arrivés ici, à Montréal. Avec mon premier salaire de réceptionniste à l’hôpital général, je l’ai conduit sur la rue St-Hubert pour l’habiller à neuf de la tête aux pieds. Je me rappellerai toujours : une petite blouse blanche à col blanc au revers crocheté, une jupe à plis écossaise dans les teintes de rouille, un chandail de laine, des bas aux genoux jaune et des souliers.

Elle était la première à rencontrer celui qui est devenu mon époux. Le rapport qu’elle en faisait aux autres membres de la famille était succincte : il a des yeux bien renfoncés dans les orbites et des poils sur les bras! Depuis, elle en a vu bien d’autres … camarades, collègues et clients, velus ou pas!

Elle allait à cette petite école minable et poussiéreuse sur le bord de l’autoroute qui traverse encore Montréal dans toute sa longueur, la Métropolitaine que nous l’appelons. Depuis, toute métropole qu’elle soit, Montréal, elle est dans la poche de la grande aujourd’hui devenue. Sur son chemin, elle a bien fait ses quatre cents coups, frondeuse, fonceuse et enjôleuse. Son mariage l’a à peine bridée, son bébé, né pendant le grand verglas de Montréal, il y a trois ans, l’a stabilisée.

L’autre jour, elle me présentait à une collègue : «Sally, ma sœur aînée, ma seconde mère!». Sur le coup, je n’étais ni surprise ni flattée. À bien y penser, j’en suis fière, ce qui me fais penser depuis au chemin que nous avons parcouru …

Aujourd’hui, elle est la seule de mes frères et sœurs à comprendre mon besoin viscéral de mon petit nid dans les Laurentides. Elle y est déjà allée toute seule avec son fils pour se reposer. Elle seule pouvait m’y voir, un jour, plus tard, passer mes vieux jours tranquilles. Hier, elle y était avec nous, mes fils, mon mari et moi, et nous faisait un souper de rois! Comme ça, comme au milieu de sa propre cuisine! Je vous disais qu’elle en a dans le ventre, dans la tête et dans le cœur …

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