28 juin 2000
La paire de jambes de l'aller, le soleil couchant du retour!

Je fais tellement la navette en ce moment entre mon refuge (dans mon coeur, je l'appelle, mon chez-moi!) et ma crèche en ville (je la considère comme mon pied-à-terre, mais les enfants et mon mari ne sont pas encore d'accord!) que je ne sais plus laquelle des directions est l'aller, laquelle est le retour, mais enfin ...

Donc, sur la route, disons à l'aller, une moto me dépassait, traversait en oblique les trois voies de l'autoroute vers la gauche, repassait deux voies vers la droite ... Vue de dos, le conducteur se plaisait dans les belles courbes qu'il effectuait, casqué, ganté, de cuir vêtu, absorbé dans ses prouesses. Le détail saugrenu est que, avec lui, on aperçevait une belle paire de jambes toutes sveltes, toutes bronzées, installée en amazone, de camisole noire et court short vêtue. Il y a bien un casque pour protéger de longs cheveux qui protestaient au vent, mais ce n'est pas un casque qui en fait une fille de motards. Plus la moto s'éloignait devant moi, plus je ne voyais que cette paire de belles jambes. Je n'y voyais que la vie dans cette paire de baguettes que j'espère ne casserait pas comme des allumettes, comme dans la vision de ferrailles tordues que je m'empressais de chasser de mes esprits. Jusqu'à destination, j'étais soulagée, je n'ai rencontré aucun attroupement, aucune ambulance, aucun tas de ferrailles. Mais je la vois encore maintenant, cette belle paire de jambes bronzées, et je m'efforcerai toujours de les voir avec des veines et des vaisseaux qui transporteraient toujours un sang chaud, vivant et paisible. Peut-être que je lui porterai chance toujours, à cette inconnue fragile devant la machine et l'obsession de la vitesse de l'homme, son esclave!

Après une courte journée en ville à courir après quelques détails dans les dossiers, vers 20h, je m'arrache du réflexe de faire plus encore pour enfin aller chercher les deux copains des jumeaux, ainsi que ces derniers, pour leur offrir quarante-huit heures en franche camaraderie, entre jeux électroniques et feux de camp, entre canotage et nage. Je retourne donc dans les Laurentides avec la camionnette rouge familiale, transportant quatre garçons de quatorze ans, plus jacassant qu'un poulailler entier, plus absorbé dans leur monde de personnages de mangas japonais, de jeux électroniques que je ne pourrais soupçonner. Devant nous, le soleil se couche. L'horizon irradié change de teintes d'oranger à rose vif, les strates de nuages moutonnent en rangée. Le ciel bleu clair, sachant se faire discret, recule d'un pas, cédant tout l'avant-scène à ce soleil qui se retire en ramassant majestueusement les pans de sa robe pourpre. Comme il se situe vers onze heures, c'est-à-dire, pratiquement droit devant moi, je n'avais pas à quitter la route des yeux pour assister au repli stratégique de l'astre altier. Malgré mes exclamations, les petits coqs n'ont rien vu, trop occupés à s'égosiller. Seul, garçon trop tendre, assis à côté de moi, émet quelques signes de reconnaissance courtois, mais j'étais seule devant ce coucher de soleil que j'ai l'impression de courir après. En effet, je force un peu la vitesse et arrive devant chez-moi, juste avant la pénombre. Du soleil, on ne voit plus rien, sauf ce soupçon de clarté au-dessus de la couronne de montagnes environnantes.

Ce soir je dors seule, dans mon lit mais aussi, seule chez moi. J'ai ouvert aux garçons la porte d'à côté, faute de la louer, je l'offre aux plaisirs des autres: la semaine dernière, à la belle-famille de ma plus jeune soeur; cette semaine, à la basse-cour, certes sans poule, mais avec quatre petis coqs, tout autre espèce ou genre est superflu!

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