23 mars 2000
Comme au cinéma

Je pensais vous raconter avec désinvolture mes manifestations de la fièvre du printemps qui se sont traduites en lunch tous les jours quelque part hors du circuit habituel de restaurants: des saucisses chez Better au filet de sole de la rue principale à St-Sauveur, en passant par les nouilles frites spéciales cantonnaises...

Mais hier, j'étais au cinéma sans être en salle, ni même au ciné-parc. J'en suis toute remuée encore. Donc hier, en fin d'après-midi, dans le trafic de l'heure de pointe, j'étais partie en expédition, accompagnée de mon plus jeune, vers le nord-est de la ville pour assister à un match de basket de quart de finale de mon fils. Quarante-cinq minutes de route et moults détours ne sont rien en comparaison avec le spectacle qui suit.

Nous sommes arrivés dans le gymnase d'une école secondaire qui a le seul mérite de nous faire voyager, plus loin que chez nos voisins du sud, aussi loin que les îles des Caraibes. Ce qui frappe, en partant, c'est le soleil jaune de l'uniforme adverse sur fond brun des joueurs hauts sur pattes. Puis la foule des supporters sur les gradins, colorée, verbomotrice, avec de grands adolescents gesticulants et de grandes adolescentes traînant un marmot (le leur ou le petit dernier de leur mère?). Sur le banc des visiteurs, douze pâlots format réduit (sauf trois ou quatre), en uniforme rouge vin liséré de bleu ciel. Enfin, je vais voir en action l'uniforme qui passe dans ma laveuse à tous les deux jours.

Les rouges vin ont commencé par gagner, puis perdre. La foule a commencé tranquillement dans le bavardage puis s'échauffe quand les jaunes soleil remontent les points. Dans la tribune, derrière le banc des visiteurs, mon plus jeune et moi, sommes debout derrière la balustrade. Toute seule, j'essayais de faire parvenir jusqu'aux oreilles des rouges vin mes applaudissements isolés et volontairement prolongés. Mon plus jeune, lui, n'arrête pas ses: "ça suffit maman!"

Parlons un peu des coach et des arbitres. Chez eux, deux têtes d'athlètes (deux corps aussi!), l'un en chandail noir, l'autre blanc. L'un vocifère, l'autre brasse ses joueurs, dans des face-à-face intenses, les mains sur leurs épaules, le regard dans leur blanc des yeux. Chez nous, le vrai coach est le petit blond à lunettes, veston bleu marine sur pantalon kaki. L'assistant est ce monsieur, col blanc, à la chemise bleue qui a tendance à sortir du pantalon, la faute bien sûr est à la bedaine naissante. Et les "ref", ces arbitres, fils des îles aussi, l'un est un petit sportif, l'autre s'impose par sa bedaine et ses lunettes à monture carrée et noire.

Revenons au jeu (qui n'en est pas un, c'est la vraie passion qui s'est déchaînée par la suite!). Donc, les rouges vin ont perdu toute leur avance, quand les points se sont égalés, la foule s'est soulevée. Mais l'un des petits pâlots (le deuxième plus petit) a enfilé coup sur coup trois filets de trois points chaque (j'ai l'air très commentateur sportif, n'est-ce-pas, j'ai l'air de savoir ce que je dis, en fait j'ai appris sur le tas, soufflé par mon petit). Nos troupes ramassent leur courage... et maintiennent leur avance jusqu'à la fin, perdant quelques points, gagnant quelques points. Alors que la foule hurle, nos joueurs se font apostropher, les arbitres se font brasser, notre petit coach blond se fait pointer du doigt et intimider verbalement. Les rouges vin ont épuisé leurs meilleurs dans la mêlée, les jaunes soleil ont misé tout sur leurs plus grands. Les coach en bleu ont gagné par rectitude, le coach en noir s'est fait expulsé au dernier quart, le coach en blanc s'est tu. Et les arbitres ont été énergiques. Tant et si bien, qu'en attendant à la sortie, j'ai vu que les arbitres ont dû être escortés pour partir sans incident. J'ai vu aussi les jeunes s'échauffer, se bousculer, s'invectiver. Je me suis inquiétée pour la sortie de nos joueurs. Mais visiblement l'école connaît leurs ouailles, les joueurs locaux et leurs supporters ont été invités à retourner dans le gymnase pour le briefing des chefs, tandis que les visiteurs sont sortis à la file indienne pour monter directement dans leur autobus qui a reçu quelques balles de neige vengeresses. Je n'ai pas demandé mon reste et reprenais ma voiture rapidement avec mon plus jeune, son frère et un copain. Je reculais prudemment dans le parking, sortais doucement en faisant bien attention de ne frôler personne sur mon passage et revenais promptement dans notre Montréal habituel, à échos multiethniques, certes, mais non vécu dans ces proportions, en tout cas par moi.

J'avoue avoir eu les mains moites, le corps qui tremble et le coeur qui bat la chamade. Cette histoire de basket n'est plus qu'une activité pour occuper les jeunes, mais pour former leur caractère, leur courage. Ce ne sont plus que ces pratiques régulières et contraignantes, et les matches empêchant les week-ends de tourner rondement. C'est une équipe qui va quelque part, parfois ils ne savent pas, mais ils font de leur mieux. Mon fils a laissé ses médailles d'or et d'argent de judo pour ça. Je vis dans les tripes maintenant ses problèmes d'ongles incarnés qui saignent et qui ne peuvent guérir pour de bon, à cause des arrêts, départs et freinages fréquents des jeux de jambes en basket. Dans ses vieux baskets de l'an dernier, parce qu'il s'est fait chipé ses nouveaux de cette année. Maman justicière n'a pas cru bon de les remplacer tout de suite, mais maman nourricière va y remédier très bientôt!

Je me sens irrémédiablement bourgeoise et impressionnable. Mes enfants sont tendres et le monde est dur. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer!

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