23 février 2000
Le poisson et le bipède

Ça m'a pris deux jours pour me décider à réagir à la chronique de la Luciole... C'est bien de son poisson que je parle, le petit, le rouge du bocal. Geste gratuit vous dites que d'appuyer sur le bouton de l'expérience. Gratuit en apparence, mais pas gratuit du tout, si vous considérez le point de vue du bipède qui décide de pousser sur le bouton. S'il est bêtement curieux, il aurait satisfait son instinct de bête. S'il pense que le geste ne compte pas parce que cette chose rouge qui bouge n'est pas sensible, ne saigne pas quand il meurt et ne pleure pas, alors il est ignorant. S'il sait bien que son geste tue, mais le fait quand même, c'est parce qu'il a besoin de se prouver qu'il est le plus fort. Loi du plus fort, geste de celui qui a besoin de se reconfirmer dans ses instincts. Bref, geste de celui qui ne respecte pas la vie quelque soit sa forme.

Le même bipède, légitimé par la bande, la horde de ses semblables, se permet ce que la Luciole a relevé de par le monde: tortures, assassinats, la violence sous toutes ses formes encore une fois. S'il est assez bête pour ne pas reconnaître la vie dans un poisson rouge, il ne la reconnaît pas non plus quand un autre bipède parle une autre langue ou présente une différente pigmentation de la peau. D'autant plus que l'autre a l'air plus sophistiqué que le poisson rouge, donc plus menaçant, donc à abattre. Depuis la fin de la guerre froide, on vit la paix arrangée mais les forces financières se cannibalisent. Les fusions d'entreprises ne sont que des pactes dans la course de la suprématie. Et la suprématie c'est la loi du plus fort. Ça c'est la violence des riches, les hordes de pauvres, devant l'écart qui s'accentue avec le troupeau des riches, se mettent à cannibaliser ses voisins, au nom du territoire, de la race et de la nation. Comme dans le passé, les croisades au nom de la chrétienneté ou les expéditions conquérantes de Gengis Khan à travers les plaines d'Asie Centrale.

Les bipèdes, en somme, sont affublés d'une tête de mule (la preuve est que nous utilisons si peu de nos cellules dites intelligentes) munie d'oeillères indémontables. Ils n'ont que deux buts dans la vie: se battre ou se préparer à se battre. La seule phrase de latin qui m'est restée du lycée est: "Si vis pacem para bellum" - Si tu veux la paix, prépare la guerre! Vous vous rappelez du Pakistan et de l'Inde qui se narguent avec leur (unique) bombe atomique!

Désolée d'être cynique aujourd'hui, les amis, mais essayons d'être cyniques ... sereinement! Que pensez-vous que nous faisons quand nous préparons nos enfants à un examen ? Pour qu'ils aient de bonnes notes, pour qu'ils aillent aux bonnes écoles, pour qu'ils soient plus forts, pour qu'ils gagnent les meilleures places, les meilleurs salaires, les meilleurs leviers, etc... C'est ça, préparer la guerre, pour avoir une paix... temporaire! Parce qu'il faut préparer la guerre constamment pour être efficace, efficient, compétitif, à niveau, en forme, connaissant et au courant pour gagner une paix en courte-pointe.

Pour revenir au bipède, afin de courir plus vite, faute d'avoir mille pattes, il s'invente des outils, des armes, des systèmes. À force d'inventer souvent, tout ce qu'il fait est expérimental, comme l'agent orange qui défolie (qui tue la vie végétale) en Asie du Sud-Est, comme la bombe atomique d'Hiroshima, comme les expériences scientifiques dans les camps nazis, comme notre système scolaire qui change à peu près aux dix ans. Entre temps, tourne le système. Petit bipède deviendra grand, mais tout aussi bipède! ça sert à rien de se bomber le torse ou s'épaissir le portefeuille, on naît bipède, on meurt bipède. Si l'on s'emploie à exercer nos neurones, au moins nous serons bipèdes de plus en plus intelligents!

Il n'est pas évident de garder nos distances face aux conditionnements de la vie sociétale, mais nous ne devons pas abdiquer de notre capacité d'assumer notre propre jugement. Aiguisons nos réflexes de résistance au conditionnement facile. Faire quelque chose pour faire comme les autres!!! Jamais!

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