07 février 2000
Je pense donc je suis

Ce soir, je m’assois devant mon portatif, avec l’intention réelle de me changer les idées. En pensant au début de ce que je vais écrire, à ce qui se passe depuis la dernière fois que j’ai écris dans ce journal en ligne, une réflexion m’est venue: moi qui craignais de me sentir liée et entravée si j’ai trop de rapport de personne à personne avec les lecteurs (je fais exprès, je ne dis pas mes lecteurs!), j’écris de plus en plus comme si je dialogue avec des vis-à-vis. Je dois avouer que je me sens confortable actuellement, quoique je ne suis pas sûre que c’est une évolution dans le bon sens. En tout cas, mes rapports avec les lecteurs ont évolué. Mes rapports avec ce journal aussi: moins artiste, plus routine. Comme par exemple, jusqu’à présent, j’écrivais directement en ligne, d’une certaine façon, j’entretenais le mythe du direct, du spontané, de la pulsion. Je ne retournais presque jamais corriger une coquille ou une faute de frappe. Maintenant, je me prend assez au sérieux pour recopier mes entrées depuis le premier jour de l’an 2000 pour les passer au correcteur. Dans le processus, sans en ajouter ou en retrancher, je ne suis pas sûre d’avoir tout bien gardé intact, tout en corrigeant les fautes. Je pourrai aussi effacer par mégarde plus d’une phrase et bien des mots. Mais c’est fait maintenant! Par contre, je pense bien continuer mes écrits hors ligne, passer le correcteur, puis afficher en ligne. Peut-être que certains, ou plusieurs diaristes font déjà comme ça. Ce qui explique des textes sans faute pour certains et bourrés de coquilles pour d’autres. Par ailleurs, il y a la question du niveau de langues. Un journal pour soi peut être n’importe comment, sur le vif, avec des expressions argotiques, des abréviations, etc... Mais des écrits publiés en ligne, archivés demeurent en principe aussi longtemps qu’un livre. Pour qui prétend publier, être lu, faire littérature et laisser sa marque, ce n’est plus un journal pour soi, rien d’intime dans ça. Personnel certes, mais publique! Maintenant que je pressens l’effet sur d’autres personnes, il me faut donc être plus responsable pour la langue écrite, non pas langue de littérature, mais certainement langue de culture et de communication.

Sur la question des sujets traités, on parle bien de Sally et de son monde, du vécu et des aspirations, des idées et des émotions. Après tout, ce site est bien sous l’enseigne de Geocities.com/Athens/Atrium : la place des débats publiques dans une des villes berceaux de la civilisation, du savoir et de la philosophie! Cette mise au point de l’orientation du journal m’est nécessaire, après tout, ce bébé est fécondé au 18 mai dernier. Au sein de sa mère, il a bien grandi, au 18 février, jour de ma naissance, il aura neuf mois. Il sera né, il sera "humain", il aura la même date d’anniversaire que moi. En fait, je prépare actuellement sa vraie naissance. Comme toutes les mères, j’ai vécu ma grossesse, les lecteurs peuvent en témoigner. Au 18 février, je vivrai un accouchement. Aujourd’hui, je ne sais pas encore quelle tête il va avoir, mais je médite fort sur le sujet. Peut-être ressemblera-t-il à ce que je me suis habituée à voir, dans mon miroir. Peut-être sera-t-il plus futuriste, plus "débats d’idées", il perdra probablement alors, certains de ses lecteurs actuels. Peut-être continuera-t-il à rester un dialogue entre moi et plusieurs "vous", entre le moi (mère, femme, travailleuse) et vous (voyeurs, curieux, fragmentés). Dialogue boiteux où vous marchez bien comme témoins silencieux de mon quotidien, mais pas du tout comme pamphlétaires, sur un atrium public d’Athènes, selon mes voeux d’avant la conception. Il reste que depuis sa conception, bébé se porte bien, pas comme je l’aurai rêvé mais bientôt, il aura sa propre vie. Il reste à savoir si je l’adopte tel quel sans trop me poser de question ou bien je lui applique une cure de redressement, à la suite de laquelle, il sera moins quotidien, moins "récit de vie", plus réflexion, plus idéaliste, plus "changeur de monde".

Aujourd’hui, je ne sais pas encore. Mais je pense fort. Mes doigts pianotent sur le clavier, les idées prennent forme. Je suis en train d’écrire ce que je ne pensais même pas écrire au départ.

Pour alimenter mes réflexions les prochains dix jours, je sais que des gens d’horizons très différents me lisent. Il y a quelques jours, ça me plaisait, aujourd’hui, j’ai ce réflexe d’autosabordage. C’est psychotique, non? À moins que cela soit plutôt un réflexe de distanciation que j’opère suite à trop de confessions personnelles, un peu comme la fille qui s’est trop épanchée sur les épaules de tout le monde, maintenant veut changer de ville pour "refaire sa vie" ou changer de milieu pour se voir autre que ce qu’elle connaît d’elle-même jusqu’à présent. Il faut le faire, n’est-ce pas?

J’y pense maintenant, au début de mon journal, je voulais me situer, me faire connaître mais en le faisant, je me suis prise dans le jeu de me faire connaître dans mon évolution quotidienne. Alors je m’écartais du chemin des débats d’idées, des pamphlets (écrits satiriques de la société, des hommes politiques, de la religion, etc...) Et puis, entrent dans la danse, les lecteurs qui réagissent aux détails du quotidien mais pas du tout à certains débats que j’ai soulevés. J’essaie de me préserver en les tenant à distance mais peine perdue, d’autres encore témoignent de leur présence cordiale. Mais pas de partenaire de joute intellectuelle à l’horizon. Chaque fois que je fends la garde, je rebaisse l’épée, faute de combattant. Il ne me reste que des singeries savantes. Je sais que je suis maître dans l’art, mais ce n’est pas de cet art que je veux vivre. Que faire? Me suis-je trompée de ville ou d’atrium, dressée mon chapiteau dans le désert d’une autre planète?

Reprenons la boussole des intentions et réorientons-nous sur la route en direction d’une ville choisie. Ce n’est peut-être pas Athènes, mais Rome, autre ville de gladiateurs, ou Paris, la ville-lumière. Réapprivoisons une autre cité, un autre public.

Avant de quitter aujourd’hui, je veux dire que je viens de passer cinq jours prospères en affaires, en joie harmonieuse avec mon clan, mes enfants, ma fille et son fiancé. J’ai aussi renoué avec des amis oubliés mais toujours aussi chers. Sauf de l’adversité encore aujourd’hui dans la jungle, je suis bien et je suis tout à fait rééquilibrée. Rien qui puisse déclencher les réflexions précédentes, sauf l’absence de cinq jours, une distance, un réflexe de se précipiter sur le clavier pour se raconter (un show pour soi?) et un éclair de lucidité (je me vois en train de me raconter: exercice futile?).

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